Quelle plus belle introduction à un nouveau récital Chopin que la
Barcarolle op. 60 ? Chef-d’œuvre entre tous ! Debussy en recommandait
l’étude ainsi à son élève Catherine de Romilly : « Vous la travaillerez
jusqu’à ce que vous la jouiez bien et pendant des années s’il le faut ! »
Écrite l’été́ 1846, en parallèle avec la Polonaise-Fantaisie op. 61,
l’œuvre réunit toutes les subtilités, les couleurs les plus raffinées de
l’univers chopinien. Après une courte introduction interrogative sur la
dominante, la main gauche commence un accompagnement, calme et balancé,
qui introduit le thème chatoyant, en tierces et sixtes quasi
ensorcelant ! La plus extrême souplesse est évidemment requise ici et il
faut attendre le pont en La majeur pour voir le tempo doucement
s’animer. Mais soudain, un trille sur la dominante suspend le flux et,
après une succession d’accords haletants, dépressifs, nous dépose pour
deux mesures sur une extraordinaire irisation en Ut # majeur, comme un
miracle ! Puis, après une brève modulation, le thème revient avec plus
d’allégresse, amenant une Coda enflammée et chatoyante qui conclut cette
page étonnante dans une lumière irradiante.
Viennent ensuite
trois Valses rafraichissantes et très différentes de caractère. La
merveilleuse Ut # mineur op. 64 n°2 fut dédiée à la délicate Baronne
Nathaniel de Rothschild et recèle toute la grâce aristocratique de la
dédicataire. L’op. 34 n°2, elle, est pleine de tristesse, de mélancolie
mais avec des inflexions très variées. Chopin devait l’aimer
particulièrement car il lui arriva au retour de l’épisode en La majeur,
d’improviser dans l’aigu du clavier, pour son élève Camille
Dubois-O’Meara, un ravissant contrepoint qu’on a pu retrouver et
conserver. Enfin, la Grande valse brillante op. 18, antérieure, est le
type même des valses qui mettaient en joie les nombreux invités des
salons parisiens que fréquentait Chopin ou ceux du château de Nohant !
Elle permettait à Chopin de montrer son brio, la variété́ de ses
couleurs ainsi que la légèreté de répétitions des nouvelles mécaniques
Pleyel !
L’Impromptu posthume, appelé́ improprement « Fantaisie-Impromptu » fut en réalité́ le premier des quatre à être composé, en 1835. Pièce éblouissante, elle est de facture extrêmement simple (ABA + Coda). La grande mélodie centrale, « Moderato Cantabile » en Ré bémol, se déploie avec ampleur, mais « con anima », sans la traditionnelle langueur si mièvre... Et la Coda clôt la pièce de manière très douce, très fondue.
La Polonaise-Fantaisie op. 61, écrite en
1846, est une pièce hors-normes. Le choix du titre avait d’ailleurs
embarrassé Chopin : « chose que je ne sais comment dénommer » a-t-il un
jour avoué... En effet, il faut attendre la 22ème mesure pour que le
rythme si caractéristique de Polonaise se révèle ! Auparavant, une
longue introduction de caractère improvisé fait entendre une succession
de grands arpèges qui couvrent tout le clavier dans des couleurs tour à
tour solennelles ou mystérieuses. Une fois le thème lancé, « a tempo
giusto », l’interprète doit évidemment lui garder son caractère chantant
mais aussi sur un rythme implacable ! De multiples modulations
conduisent ensuite à un grand épisode très tendre, en Si majeur, qui
aboutira à un passage en trilles, de caractère suspensif, ramenant une
réexposition pp, quasi chuchotée. Chopin lance alors un immense
crescendo (dont il y a très peu d’autres exemples dans son œuvre !) qui
amène une véritable explosion lyrique du thème principal. Vient ensuite,
sur une longue dominante, la Coda, occasion pour Chopin d’indiquer deux
pédales différentes sur chacun des manuscrits.
Avec le Nocturne
op. 62 n°2, composé cette même année 1846, nous voilà dans le grand
champ bellinien qu’aimait tant Chopin ! Admirable page découpée en trois
parties, la partie médiane « agitato » annonçant déjà les
circonvolutions fauréennes, recèle tout l’art du contrepoint pratiqué
par Chopin. Un retour sur la dominante amorce alors une surprenante
modulation, avant une Coda très apaisée, la plus simple qui soit.
C’était la fin d’une magnifique trilogie - Barcarolle op. 60,
Polonaise-Fantaisie op. 61, Nocturnes op. 62 - qui marque le sommet de
l’art chopinien. Après cet été́ 1846, Chopin quittera Nohant pour ne
plus y revenir, ses relations sentimentales avec George Sand s’étant
fortement dégradées.
Tout au long de sa vie, Chopin composa des Mazurkas, forme qui lui était
particulièrement chère. Dès son enfance, il fut imprégné de ces danses
aux accents marqués et généralement décalés sur le 2e ou 3e temps, ce
qui entraînait parfois chez les musiciens, des disputes véhémentes
autour du piano ! Celle entre Chopin et Meyerbeer est restée fameuse,
Chopin ayant été très rarement « rouge de colère » comme l’ont relaté
des témoins... Parmi les 46 qui furent publiés, Laurence OLDAK a choisi
de retenir un bouquet de cinq « favorites » particulièrement
attachantes. Et tout d’abord l’étrange op. 17 n°4 en La mineur, composé
en 1834, que Lenz, l’élève de Chopin, surnommait « le visage endeuillé
», appellation qui avait bien plu à Chopin. Puis l’op. 30 n°4, de 1837,
dans sa tonalité bien aimée, d’Ut # mineur, pleine d’élans contenus,
avant une fin terriblement dépressive. L’admirable op. 63 n°2 en Fa
mineur, de 1846, appartient au style « Kujawiak » image de cette
profonde mélancolie qui submergeait tous les Polonais émigrés. Puis,
l’une des plus belles, encore dans sa chère tonalité d’Ut # mineur, op.
63 n°3 (1846) avec une fin en canon, éblouissante ! Enfin, l’op. 67 n°4
composée elle aussi en 1846, mais publiée seulement en 1855 avec sa
partie médiane en La majeur et une fin indiquée par Chopin « legatissimo
».
Parmi les quatre Scherzos, le 2e en Si b mineur fut écrit en
1837. Chopin a dit du premier thème, au cours d’une leçon : « ce doit
être une maison des morts ! » Pièce dramatique, aux interjections
haletantes. La 2e idée est une cantilène éperdue, fortement inspirée du
bel canto. Mais la partie centrale, en La majeur, beaucoup plus apaisée,
précède un développement tumultueux, amenant la réexposition.
Enfin,
remercions Laurence OLDAK de clôturer ce beau programme avec une page
d’une beauté indicible, ce « Lento con gran espressione », injustement
renommé par de nombreux éditeurs « Nocturne Posthume » et que Chopin
envoya depuis Vienne, en 1830, à sa sœur Ludwika sur un très sommaire
feuillet, dont la première esquisse, griffonnée, se trouve dans les
précieuses archives de la Chartreuse de Valdemosa. La dédicace mentionne
affectueusement « à ma sœur Louise, comme exercice avant de s’attaquer à
mon 2e concerto ». En effet, la partie médiane contient plusieurs
éléments, des 2ème et 3ème mouvements du dit concerto. Mais la fin
s’effiloche peu à peu et s’évanouit dans un ppp en Ut # majeur dans
l’extrême aigu du clavier...
On comprend l’admiration du grand Liszt qui déclara le 1er janvier 1876 « Nul autre ne doit lui être comparé, il rayonne seul et unique dans le ciel de l’art. »
Dominique MERLET
Laurence Oldak, piano
Détails
Informations sur l'article
GTIN13
3760330962016
Format
CD DIGIPACK
Référence
KLA160
Label
KLARTHE